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Souheila Yacoub, de corps et d'âme - Bondy Blog
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Ce fut une angine carabinée qui empêcha toute rencontre physique pour lui tirer le portrait. Ce fut donc un appel vidéo du Maroc, où elle est actuellement en tournage, qui me permit de constater l’évidence qui affleure aussi dans ses personnages. Sou a le don de réfléchir la lumière et il ne tient pas du seul hasard. Elle irradie, sur les planches d’un théâtre, sur la toile d’un cinéma ou à travers l’écran d’un téléphone, ainsi soit-il. Sou, c’est le diminutif de Souheila. C’est de cette manière qu’elle se présente, qu’elle dit aux gens de l’appeler. Elle se raccourcit, par commodité, bien qu’elle sait (et mieux que quiconque peut-être) la valeur que cela apporte, d’aller au bout du geste, au bord du verbe, aux confins de l’effort.

Sou naît à Genève il y a de cela vingt-sept étés, d’une mère flamande, aide-soignante, d’un père tunisien, qui ne travaille plus, paralysé par une hémiplégie. Son enfance est particulière, puisque, des années durant, Sou sera l’histoire d’un endurcissement : celui de ses muscles contre le tapis de gymnastique rythmique. Elle a quatre ans, quand elle débute. En se passionnant pour ce sport, elle s’éveille aux défis corporels, teste l’élasticité de ses ligaments. Et elle se révèle douée. Très douée. Elle se rappelle : « J’avais de grands rêves de sportive, je voulais être excellente dans ce que je faisais ».  

Sa passion requiert de la discipline. A douze ans, elle participe à son premier championnat et quitte la maison. Les compétitions, « que je détestais pourtant. Ce que je préférais, c’était l’esprit d’équipe. » Les salles d’entraînement et les voyages à l’étranger se substitueront à toutes les sorties et les découvertes habituellement attribuées à l’adolescence. A quatorze ans, elle intègre l’équipe nationale. « J’ai foncé…», commence Sou, « j’ai foncé… jusqu’à ce que je comprenne que c’était un piège. Je voulais faire les Jeux olympiques. Mais à quel prix… »

Je me suis longtemps détestée

La discipline se mue en carcan. Son corps n’est utile que lorsqu’il est performant. Il ne grandit pas, « le haut-niveau, c’est beaucoup de rigueur, tu y consacres huit à dix heures par jour ». Il s’étire, se tord et se plie mais ne rompra pas. Rétrospectivement, Sou analyse : « Moralement, ça m’a forgé. On nous pesait plusieurs fois par jour. On nous harcelait. On nous dopait à notre insu. Je faisais un peu ma rebelle, donc les coaches finissaient par me détester. Je trichais sur les exercices à faire ou les pompes à compter. Toute notion de plaisir avait disparu. »

Et le carcan pèse lourd sur son poids plume. Elle avoue qu’elle ne connaissait « rien à la vie d’une ado, rien aux garçons ». Mais le glas ne sonnera pas, parce qu’à vingt ans, la délivrance : « On ne s’est pas qualifiés pour les Jeux. Ça aurait dû être mon drame. En réalité, ça a été un grand bonheur. C’était fini ».

Alors qu’elle retrouve le foyer familial à l’âge où de nombreux jeunes adultes le quittent, Sou doit apprendre à se réconcilier. D’abord, se réconcilier avec sa propre chair, de laquelle elle ne sait plus quoi faire car « je pesais quarante-cinq kilos, j’avais une vision déformée de ce que devait être un corps de femme, à cause de ce que les coaches nous ont inculqué et répété. Puis, ton quotidien s’arrête et brusquement, ton corps reprend ses droits. Je me suis longtemps détestée ». Puis, se réconcilier avec sa propre voix, afin qu’elle puisse en trouver une, justement, de voie : « Je ne parlais plus trop. J’ai fait une dépression. La reconversion, c’est difficile, pour les sportifs. Je n’avais pas de diplômes et je n’avais plus de repères ».

Miss Suisse romande 2012, puis le Cours Florent

Mais Sou possède un instinct de survie incandescent, qui la pousse aux expériences. Sa sœur, qui veille, l’inscrit à l’élection de Miss Suisse romande 2012 (qu’elle remportera). « Durant les sélections, on m’a demandé de perdre du poids, se remémore-t-elle néanmoins. J’ai eu envie de tuer tout le monde. Ça a résonné en moi, une remarque pareille ». Ainsi, il était tant pour elle de rassembler ses souvenirs. Elle se remémore que, petite, elle adorait regarder les « making-of » des films et observer les acteurs préparer leur rôle. Elle ne nourrit aucun fantasme, « je ne connaissais rien au cinéma francophone, mes parents ne l’étant pas », mais Sou veut quitter la Suisse, en vue de l’unique compétition qui vaille, cette fois. C’est-à-dire, celle avec soi.

« J’avais des choses à sortir. Par la danse ou le jeu, mais ça devenait vital. J’avais en moi des émotions que je ne m’étais jamais autorisée à ressentir, pendant quinze ans ». Une assistante sociale lui permet d’obtenir une bourse d’études et elle part sur Paris, direction le Cours Florent. Sa première scène est tirée du Songe d’une nuit d’été. C’est un dialogue entre Héléna et Dimitrius et Sou, enfin, sourit : « rien qu’exprimer l’amour me faisait du bien ». En troisième année, elle réussit le concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Elle exulte, « j’étais tellement contente à l’idée de devenir comédienne ».

Et puis, comme-ci le destin lui rendait enfin ce qu’il lui avait pris, il met sur son chemin Wajdi Mouawad, dramaturge qu’elle affectionne tant (« J’avais appris Incendies, j’étais une immense amatrice de ses textes ») en la personne de son assistante. Cette dernière remarque Souheila à une remise de prix où l’actrice était chargée de faire les chorégraphies avec sa promotion. Elle rencontre le metteur en scène quelque temps plus tard. « Et après juste trois heures de discussions et sans même me voir jouer, il me propose le rôle de Wahida dans sa nouvelle pièce, Tous des Oiseaux ». Parce que c’était pour elle et pour personne d’autre ? Plutôt : parce que c’était elle et personne d’autre.

Souheila demeure une athlète : elle travaille, beaucoup. « Je n’aime pas être à l’arrache », se justifie-t-elle, « j’avais peur de décevoir ». Elle qui parlait déjà français, néerlandais, anglais et bulgare apprend l’arabe pour le rôle. Elle l’étudie toujours « parce que je trouve la langue sublime et que c’est une partie de moi que j’ai tu, longtemps ».

Davantage que jouer, Souheila incarne

Durant ces deux ans intensifs avec l’équipe de « Tous des Oiseaux », elle panse ses plaies, accepte ses cicatrices, accroît la profondeur de son regard et renforce avec joie un muscle dont on sous-estime souvent la puissance : le cœur. « La pièce parle d’identité et de beauté, du regard que l’on porte sur l’autre » et la partition de Wahida devint celle sa reconquête. Elle reconnaît qu’elle avait « mis de côté mes origines arabes. Or, quand tu passes des castings, on te les renvoie rapidement à la figure. Mais je veux tout jouer. Mon corps, je le connais parfaitement maintenant ».

Davantage que jouer, Souheila incarne. Au théâtre comme sur un tournage, elle interprète et se métamorphose, que cela soit dans l’hypnotisant « Climax » de Gaspar Noé ou bien dans le clip mélancolique illustrant la chanson « Trop beau » de Lomepal. En tête d’affiche de la série « Les Sauvages », réalisée par Rebecca Zlotowski et adaptée du roman de Sabri Louatah, elle continue de surprendre et de se surprendre. « C’est un pari gagné lorsque des proches me disent qu’ils ne me reconnaissent pas. C’est le cas pour le personnage de Jasmine Chaouch dans la série. C’est une bourgeoise, qui a fait de grandes études, une jeune femme en politique à un poste important, qui est dans un contrôle total de son environnement et de ses sentiments », explique-t-elle, « moi, à l’inverse, je suis très sensible et plus perméable ».

Fin août, Souheila a demandé une faveur spéciale à celle qui la remplace dans « Tous des Oiseaux » : de pouvoir reprendre le rôle, pour trois dates, en Suisse. Dans le public, elle a retrouvé ceux qui lui avaient offert sa bourse, une fondation aidant les jeunes en difficulté. « J’ai bouclé la boucle. C’est la fin d’un cycle. J’ai envie d’apprendre encore et de vivre des aventures en groupe, car c’est ce que permet ce métier. Je ne l’assumais pas jusqu’à l’année dernière, mais aujourd’hui j’ose dire que je suis comédienne. » Ses yeux noirs brillent, reconnaissants.

Souheila se sent libre, se sait libre et va à l’instinct. Elle croit « en notre génération. Elle va faire de beaux trucs ». Mais alors, que préfère-t-elle, désormais ? Sou ou Souheila ? Détendue, elle rit, sincère : « Comme tu veux ! Sou, c’est un réflexe. Mais je me suis réconciliée avec Souheila ».

Eugénie COSTA

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