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Révolte sociale en Tunisie : "Si ça continue, on ne pourra même plus acheter de pain" - Bondy Blog
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Tous les soirs, je prends place sur le canapé aux côtés de ma mère pour regarder sa série turque préférée « Hareem al sultan » ( Le harem du sultan) mais dernièrement nous avons changé nos habitudes à la faveur de l’actualité de mon pays d’origine : la Tunisie. Ces derniers jours, c’est sur les principales chaînes tunisiennes Al wataniya et Elhiwar ettounsi que nous nous branchons pour écouter et regarder les dernières informations et débats télévisés. En effet, cela fait maintenant plusieurs jours que les nouvelles de la Tunisie inquiètent bon nombre d’entre nous. Manifestations et mouvements sociaux ont pris l’habitude de se tenir depuis la révolution mais cette fois-ci, la contestation semble particulièrement solide.

« Les prix augmentent tout le temps, au marché je ne peux quasiment plus rien acheter »

La contestation menée dans les rues avec ses slogans de manifestants comme « aisabet al sorak« , les milices de voleurs, trouve un large écho dans la situation économique et sociale du pays. En effet, c’est l’adoption d’une loi de finances, avec hausse de taxes et des prix, perçue par bon nombre de citoyens comme austère, qui a mis le feu aux poudres. Cette loi vient alors mettre un coup de massue à une situation déjà critique. Les Tunisiens, au pouvoir d’achat très faible, ne voit pas les choses s’améliorer. C’est ce que me relate ma tante, qui vit dans le quartier modeste de El Mellassine à Tunis. Elle travaille comme femme de ménage dans plusieurs administrations pour gagner à peine 300 dinars par mois, ce qui équivaut à un peu près 100 euros. « Les prix augmentent tout le temps, au marché je ne peux quasiment plus rien acheter, je me contente de prendre le stricte minimum. Si ça continue, on ne pourra même plus acheter de pain ». Ce sentiment est partagé par tous mes proches.

« Quand tu ne connais personne, quand t’as pas de piston, tu n’arrives même pas à trouver un stage d’un mois »

Quant au chômage, difficile pour quiconque souhaiterait comprendre de se fier aux seules statistiques tunisiennes qui recensent un taux à 15,3% au troisième trimestre de 2017 seulement. Ce chômage en réalité concerne par exemple bon nombre de jeunes diplômés. C’est le cas de ma cousine, 31 ans, titulaire d’un équivalent en master de droit public. Elle a dû renoncer à passer son examen du barreau démotivée par le manque de moyens pour aider les étudiants et son manque de réseau dans le milieu. »Quand tu ne connais personne, quand t’as pas de piston, tu n’arrives même pas à trouver un stage d’un mois ». Elle travaille aujourd’hui dans un magasin de chaussures…

C’est dans ce climat de ras le bol général, que plusieurs mouvements s’organisent, localement, puis à l’échelle nationale pour protester contre la situation économique et sociale et pour dire que les promesses de la révolution n’ont pas été tenues. Si plusieurs chaînes tunisiennes, mais également des médias français rapportent que les manifestations étaient pacifiques, très vite nous découvrons sur nos écrans plusieurs scènes de violences entre forces de l’ordre et manifestants. Un est même mort à Tebourba il y a une semaine. L’armée a été déployée à certains endroits.

Mon enfance en Tunisie m’a cependant laissé une expérience qui me pousse à plus faire confiance en l’opinion des manifestants qu’en celle des dirigeants

Il y a ce que vivent les Tunisiens là-bas et ce qu’exprime la diaspora en France par exemple. « Les Tunisiens doivent faire cet effort, le pays est endetté« , analyse mon oncle qui voit cette loi de finances comme une nécessité. Mon père quant à lui relativise la situation. « Il faut être optimiste, les manifestations en Tunisie il y en a toujours et c’est bon signe que les gens descendent dans la rue pour dire leur mécontentement ». Il opère même un rapprochement avec son pays d’adoption. « Il s’est passé la même chose en France avec la réforme du code du travail« . En ce qui me concerne, un sentiment d’impuissance et d’une non légitimité m’envahit.

En effet, malgré les liens forts que j’ai gardé avec mon pays de naissance que j’ai quitté à l’âge de dix ans pour la France, difficile d’avoir un avis légitime et catégorique sur ce que doivent faire ou non les Tunisiens. Mon enfance en Tunisie m’a cependant laissé une expérience qui me pousse à plus entendre et faire confiance en l’opinion des manifestants qu’en celle des dirigeants. La Tunisie dans laquelle j’ai vu le jour et grandi était un pays dans lequel il faisait bon vivre. J’ai aimé y faire mes premiers pas, entourée des miens, perdue dans mes jeux d’enfants et bercée par une tendre insouciance. Protégée par une tribu aimante et solidaire, je n’avais pas totalement conscience de ce que vivaient mes parents. Cependant, en cherchant plus profondément, les images et les mots ressurgissent. Le souvenir d’entendre souvent parler des cellules du parti, de voir les regards s’endurcirent dès que quelqu’un prononçait le nom de Ben Ali, des chansons chantées à sa gloire lors de l’ancienne fête nationale du 7 novembre, des images de propagande à la télévision, des efforts qu’à du faire ma mère pour que je puisses êtres scolarisée à cause du manque de piston de ma famille, des différents petits boulots que mon père exerçait pour que nous puissions survivre dans la dignité, d’un manque de liberté puis enfin du départ pour tout recommencer ailleurs.

Plus tard, c’est depuis l’étranger que j’ai découvert le pays dans lequel j’ai tant aimé joué. Ma famille se sentant plus libre de parler, me racontait alors les différentes anecdotes dont certaines relevaient de la tragi-comédie. Et tandis que les années passèrent et que personne ne s’y attendait vraiment, du moins pas chez nous, la révolution éclate pour notre plus grand bonheur. J’ai alors le souvenir de mon père qui, dès les premières manifestations, avait prit son billet direction Tunis, lui qui ne pensait pas qu’un jour de son vivant il verrait le régime qui l’a poussé à quitter son pays, tomber.

« La révolution continue »

Depuis le débat est engagé et j’assiste avec frénésie aux mouvements de la société tunisienne, que cela soit à travers les membres de ma familles lors de mes récurrentes visites ou à travers les médias. Si à mon sens, le pays a fait certains progrès, je pense tout particulièrement aux lois qui permettent aux femmes tunisiennes de se marier avec un non-musulman ou encore l’égalité des femmes et des hommes devant l’héritage, la Tunisie ne semble pas avoir fini sa révolution. Alors que Ben Ali coule des jours heureux au bord de la mer rouge, ses anciens alliés et fonctionnaires sont encore présents dans le pays et à de prestigieux postes. C’est ainsi qu’on retrouve d’anciens membres du parti unique RDC (Rassemblement démocratique constitutionnel) au Parlement. D’ailleurs le président actuel, Béji Caïd Essebsi, 91 ans, a fait ses premiers pas en politique avec Habib Bourguiba qui fut le premier président de la République Tunisienne à son indépendance. Difficile de parler de renouvellement de la classe politique.

Rien d’étonnant à voir les Tunisiens descendre dans la rue tant la déception et la colère est grande sept ans après la révolution, eux qui ont consenti tant de sacrifices et mis Tunisiens de se sacrifier et mis leurs vies en danger en 2011. Ce 14 janvier, l’avenue Habib Bourguiba, artère centrale de la capitale, Tunis, était pleine de manifestants. Pour répondre aux accusations de ceux qui les qualifie de terroristes, certains d’entre eux se sont déguisés en clowns. Ils ont été nombreux à crier « la révolution continue », comme un nouveau cri de colère mais pleins d’espoir et de courage. À cet instant-là, j’aurais aimé être avec eux.

Fatma TORKHANI

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