Une quarantaine de personnes sont réunies à l’Assemblée nationale, dans une des grandes salles qui accueillent tout au long de l’année des colloques. Au fond, un écran géant se dresse derrière une estrade. Les gens attendent sagement les organisateurs de l’événement. On discute tranquillement, entre amis qui se retrouvent, certains échanges sont même (déjà) animés. Ce jeudi 4 juillet, tout ce petit monde est réuni pour un colloque au nom volontairement provocateur : « Education populaire : la politique a disparu ? » A la manœuvre, une toute jeune association, Quidam, présidée par Ulysse Rabaté, connu pour avoir été le candidat suppléant de la France insoumise aux législatives face à Manuel Valls.
Entre l’associatif et le politique, Quidam veut agir comme un incubateur d’idées… et un centre de formation de futurs élus, dans la veine d’une Alexandria Ocasio-Cortez outre-Atlantique. « Nous sommes une traduction française de ce type de dynamique, assume son président. Nous comptons nous inspirer de l’émergence d’une nouvelle génération politique qui porte une remise en cause totale du paysage politique tel qu’il existe. L’idée, c’est aussi de contribuer à la former et à la faire émerger. » Parmi le staff – très jeune – de Quidam, un Bondynois de 19 ans, Mehmet Ozguner.
Le jeune homme, également militant LFI, explique son engagement : « Pour nous, la politique n’est pas un gros mot. Chacun, chacune doit revendiquer la dimension politique de ce qu’il accomplit : le monde associatif, les acteurs et les actrices de terrain n’ont pas intérêt à se couper du champ politique. Au contraire, c’est le moment de l’investir. » C’est là un des objectifs du colloque du jour : reconnecter le peuple avec la politique. Et pour cela, le programme tourne autour d’un levier majeur, l’éducation populaire.
L’ambition politique de Quidam
Ulysse Rabaté explique que l’éducation populaire est nécessaire, parce qu’elle a vocation à « émanciper les individus et les ouvrir vers des imaginaires, et notamment des imaginaires collectifs. » En mars dernier, l’élu de Corbeil-Essonnes publiait une tribune à ce sujet dans Libération, co-signée par les députées Elsa Faucillon (PCF) et Danièle Obono (LFI). « Le goût de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ne tombe pas du ciel. Il s’apprend, s’enseigne et se découvre tout au long de la vie », écrivaient-ils, appelant à redonner leur juste place aux associations et aux acteurs de terrain.
Le colloque organisé jeudi était ainsi une sorte de prolongement de cette tribune, moyen d’en faire vivre les idées, de les illustrer et de les confronter au réel. Elsa Faucillon, élue de Gennevilliers, Villeneuve-la-Garenne et Colombes, commence par dresser un constat alarmant sur l’état de notre pays « où les inégalités grandissent et où le péril fasciste est extrêmement présent, où l’espace politique est déconnecté des luttes sociales et des classes populaires ». Et de proposer, face à cela, « une éducation populaire faite par les experts du quotidien comme voix d’alternative face au duo infernal, macronistes et néo-fascistes ».
Cette conviction, les députées Faucillon et Obono l’associent à une stratégie préparée depuis des mois. Il y a eu la tribune dans Libération, donc ; le colloque à l’Assemblée ; l’objectif étant d’y associer un vaste mouvement populaire pour déboucher sur une proposition de loi sur la question. D’où la convocation d’un plateau d’invités issus de la société civile. Parmi eux : Mohamed Belkacemi, entraîneur de football et ancien conseiller à la FFF, Inès Seddiki, la fondatrice de Ghett’Up ou encore Nadia Aïdli, présidente de la fédération française de Double Dutch, un sport jeune et féminin né dans le Bronx.
Si on veut que ce système marche, il faut que le maximum de personnes soient politisées
Les différents intervenants s’expriment tour à tour, reviennent sur leur parcours respectifs, explique ce qui les a conduits à s’engager dans l’éducation populaire. Ce qui ressort de ces profils très divers, c’est leur attachement à l’engagement associatif. Ainsi, Mohammed Belkacemi a travaillé pendant plusieurs années sur l’insertion professionnelle par le sport au sein de la FFF. Il a également créé une entreprise de conseil pour venir en aide aux associations dans les quartiers populaires. Inès Seddiki a lancé, il y a deux ans, « les afterworks du Bendo », sorte d’apéro networking des quartiers.
Après le temps de prises de parole, le public est invité à intervenir. S’ouvre une séance de questions-réponses où l’on évoque une interrogation fondamentale : c’est quoi, en fait, l’éducation populaire ? Et ça se passe où ? Inès Seddiki tente une réponse générale : « C’est la création de la transmission de savoirs pour préparer le peuple à la démocratie, et à exercer ce pouvoir. »
Elle tient à ajouter : « Si on veut que ce système marche, il faut que le maximum de personnes soient politisées et prennent part au débat. Il faut faire émerger des solutions depuis les quartiers. » La discussion tourne ensuite autour d’autres thématiques, comme l’écologie, la question sociale, l’éducation… Ulysse Rabaté martèle l’importance de l’engagement : « S’engager pour le collectif a du sens. L’idée qu’on veut pousser ici, c’est que c’est une expertise et une compétence de s’engager pour les autres et de créer du collectif. » Pour Quidam, l’écrire puis le dire était important pour enclencher un processus. Il s’agit à présent de le faire.
Hervé HINOPAY
Crédit photo : Matthieu REGNIER