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La honte sociale, double peine des pauvres - Bondy Blog
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« Avec la toute petite retraite de mon mari, on a beaucoup de mal à faire face à nos dépenses quotidiennes. Je viens tous les mois ici pour remplir mon cabas. Cette aide compte beaucoup pour moi. Venir ici me permet aussi de rencontrer d’autres personnes avec qui parler ». Voilà ce message qu’on entend souvent dans les permanences d’accueil du Secours Populaire, accompagné parfois d’une gêne : la honte de soi, la honte sociale. D’une manière très concrète, la honte sociale peut être un obstacle à la réinsertion dans la société. Ne pas avoir les moyens, c’est ne pas se soigner correctement, manger correctement, s’habiller correctement…

Certes, on ne meurt plus de faim aujourd’hui en France – bien que la rue tue encore environ 500 personnes chaque année en France – mais on dénombre malheureusement beaucoup trop de personnes victimes de précarité alimentaire, de précarité sanitaire, privés de logement décent ou d’éducation pour leurs enfants. Ce sont des personnes âgées, des étudiants, des travailleurs pauvres ou des chômeurs, dans les villes, dans les campagnes, dans les quartiers… Tous souffrent de ne pas pouvoir s’alimenter correctement et en subissent à terme les conséquences. Des conséquences à la fois sanitaires, psychologiques et physiques.

Ce sont eux qui se sentent matraqués, malmenés et qui viennent solliciter l’aide du Secours populaire. Après qu’ils n’arrivent pas à boucler leurs fins du mois, leur seul recours, c’est d’aller frapper à la porte des associations. Mais ce n’est jamais un geste anodin, encore moins un geste simple. Ces personnes se sentent gênés. Elles se sentent ignorées et délaissées, confrontées à cette politique néo-libérale qui fait d’eux des individus ramenés au rang d’éléments comptables dans un tableau statistique. Ils sont victimes d’une violence politique et sociale. L’emploi, la vie sont aujourd’hui précarisés. Nous voyons des familles passer qui vivent avec 2, 4 ou 6 euros par jour. A cette pauvreté s’ajoute un sentiment d’insécurité qui ne favorise pas une remobilisation. Et puis, souvent, conscientisé ou non, un sentiment d’injustice. Des vies sont détruites par ce néolibéralisme fou qui s’applique avec brutalité à ces malmenées et précarisées.

Quand je viens ici, je dois me préparer psychologiquement

Cette honte, Édouard Louis la décrit très bien dans son premier roman En finir avec Eddy Bellegueule. L’auteur est confronté à ces deux choses, la pauvreté financière et culturelle, ce qui engendre les premiers chocs auxquels il est confronté. « On avait moins d’argent et c’était la honte (…) quand on allait aux Restos du cœur pour chercher des colis de bouffe. (…) Je devenais familier des bénévoles qui, quand nous venions, me donnaient toujours des tablettes de chocolat en plus de celle à laquelle nous avions droit. ‘Ah, voilà notre Eddy, comment qu’il va ?’ Et mes parents qui m’exhortaient au silence. ‘Faut pas le raconter, surtout pas, qu’on va aux Restos du coeur, ça doit rester en famille.’ Ils ne réalisaient pas que j’avais compris depuis bien longtemps, sans qu’ils aient besoin de me le dire, la honte que cela représentait, que je n’en aurais parlé pour rien au monde. »

Cette honte, beaucoup la vivent, très peu l’expriment. Mais il n’y en a pas toujours besoin tant elle se lit sur les visages. Sarah*, 37 ans, est mère de cinq enfants. Dans son cabas, elle a un bon d’une valeur de 40 euros, obtenu en échange de 2 euros de participation. Depuis un peu plus de six mois qu’elle vient le chercher dans les locaux du comité de « Secours pop’ » d’Épinay-sur-Seine, elle se dit gênée de cette aide qui pourtant lui est fort utile. « Quand je viens ici, je dois me préparer psychologiquement, car je rencontre des personnes que je connais dans la rue. Je me dis qu’elles vont me taxer de pauvre. C’est dur ! Eh oui, je suis pauvre. Et je ne peux pas renoncer à cette aide, elle est nécessaire voire vitale pour moi. Elle représente beaucoup de choses. C’est avec elle que je nourris ma famille… Tu sais, avec des pâtes et de la sauce tomate, on se régale. J’ai honte de moi, j’ai honte de me retrouver ici. »

Ce qu’il y a de fort dans la violence symbolique c’est l’intériorisation des inégalités sociales et culturelles. Le « pauvre » va aller chercher en lui les explications de sa situation. C’est de sa faute, pensent-ils, intègrent-ils. Autrement dit, on perçoit très vite que « les autres ne sont pas comme nous », « ils ne parlent pas comme nous », « ils parlent autrement », « ils s’expriment mieux ». Quand vous êtes pauvres, vous ressentez la « pauvreté » de votre langage. Vous n’avez pas accès à la « bonne langue ».

Une société où consommer, c’est vivre

Il y a la richesse financière et la richesse sociale à laquelle vous n’avez pas accès, sinon à travers les journaux ou la télévision quand la haute société se met en scène devant le bon peuple à Cannes ou pendant des soirées de gala. Dans ses moments, il y a une mise en évidence de leur place et de la nôtre, il y a « eux » et nous. On voit qu’ils sont plus forts que nous. Étant donné qu’ils sont dans la politique, dans la culture et qu’ils ont des relations entre eux. On se sent « hors du jeu ». Et ce sentiment de « hors-jeu » est ressenti par beaucoup de personnes ; il s’accompagne d’un constat d’impuissance au plus profond de soi. Un sentiment d’injustice s’installe puisque cette réussite est la plupart du temps le fruit d’un héritage et pas d’un travail ou d’un mérite particulier.

La pauvreté est une réalité et ses conséquences ne sont pas seulement financières. C’est pourquoi l’engagement du Secours pop’ va au-delà de l’aide matérielle. Quand un bénéficiaire frappe à la porte, c’est qu’il « ne sait plus comment faire ». Quand on ne peut plus payer les factures, le loyer, c’est la honte qui prime. C’est peut-être un phénomène nouveau, aujourd’hui la pauvreté irrigue la société, parfois à des endroits où on ne soupçonnait pas qu’elle puisse arrivée. Quand on est dans une société fondée sur la consommation et que vous ne pouvez pas consommer, quelle place vous reste-t-il ? Pour ne pas avoir à répondre à cette question, certains se cachent.

Ainsi, la question est de savoir comment lutter contre la précarité et contre la honte qu’elle engendre. Nous devons nous préoccuper de ces enfants touchés par la pauvreté de leurs parents, notre avenir se joue avec eux. Sinon, il faudra s’attendre à un retour de bâton et le mouvement des gilets jaunes est sans doute un signe avant-coureur de cette contestation de l’invisibilité, de ceux qui n’acceptent plus cet effacement, cette occultation, cette honte de ne pas être sur scène ou dans la lumière.

Le lieu de cette contestation, ce n’est pas le lieu de travail mais le foyer, le rond-point pour certains… Ce sont des familles qui disent que ça ne peut plus durer. Lutter contre la honte sociale, contre la précarité à la source, ce n’est pas seulement un combat noble. C’est un combat indispensable et urgent pour que continue de vivre, sans sonner faux, la devise républicaine.

Kab NIANG

Crédit photo : Vitor CERVI

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