Pas facile de décoller un pot de yaourt fondu sur le bitume depuis plusieurs années : Inès s’y affaire depuis presque un quart d’heure. La fillette de dix ans a savamment placé deux gants sous ses genoux pour éviter les égratignures durant sa tâche. A force de chaleur et de pluie, les bordures en plastique se sont fichées dans les irrégularités du sol. « Alors il faut que je l’enlève comme un Lego », réfléchit Inès. Victorieuse, elle retourne le petit pot écrasé. « A consommer avant le 16 septembre 2008, s’amuse-t-elle. C’est l’année de ma naissance. »
Autour d’Inès, plus de quarante bénévoles ratissent, nettoient, balaient, jettent dans des sacs poubelles toutes les saletés accumulées dans les recoins du quartier. Ils relèvent tous le challenge « Ma cité va briller » lancé par Espoir et Créations, une association installée à Garges-lès-Gonesse dans le Val d’Oise.
#GargesCleanChallenge c'est le défi que se sont lancés les habitants de Garges-lès-Gonesse dans le Val-d'Oise.
Les jeunes nettoient leur quartier et nomment une autre ville, pour faire de même.
L'objectif ? Sensibiliser les jeunes à l'environnement et à la propreté pic.twitter.com/Ce9jdJodNy— Loopsider (@Loopsidernews) August 8, 2019
Des passants qui s’arrêtent pour rejoindre l’équipe
A Nice, le défi a été entendu : rendez-vous dimanche 25 août à 18 heures, place des Amaryllis, au coeur de la cité des Moulins. Excentré à l’est de la ville, à deux arrêts d’autobus de l’aéroport Nice Côte d’Azur, le quartier souffre depuis bien des années d’un défaut de propreté. « Vous vous rendez-compte qu’on jette des couches par les fenêtres ? », s’agace Nassera, qui ratisse une parcelle avec son fils. Interrompue par une bénévole en quête d’un sac pour récupérer des rats morts, elle explose : « Vous voyez ! On va, où, là ? On est pas plus sales que les autres, chez nous, alors pourquoi on l’est dans la rue ? »
A cette question, l’organisateur de ce grand nettoyage, Abdelhakim Madi, a un début de réponse. L’associatif de 18 ans est également comédien : il a écrit un spectacle autour de la propreté dans les cités. « Effectivement, je pense qu’il y a un effet mouton. Si un mec a une canette dans la main, et que devant ses yeux il y a un tas de canettes par terre, il aura tendance à la jeter. Mais je pense que l’effet mouton peut s’inverser avec ce type d’action. Si les mêmes personnes nous voient nettoyer le quartier, ça peut suivre ! » Un optimisme qui se vérifie au chiffre : depuis une demi-heure de nettoyage, une trentaine de passants ont enfilé les gants pour aider les bénévoles.
On fait ça pour le quartier
Le front perlé de sueur sous la trentaine de degrés, quatre copains se reposent enfin à l’ombre d’un arbre. « Je viens de faire rouler un pneu de voiture depuis là-bas », s’essouffle Ilyès. Ses potes Hamza et Ilias renchérissent : « Il y a aussi des matelas, des micro-ondes, des planches. Même une bonbonne à gaz ! ». Et de justifier leur présence aujourd’hui à l’opération : « On fait ça pour le quartier, et parce que nos frères avaient besoin de nous pour nettoyer. On a aussi envie que ça change », confie Hamza. Avant d’être interrompu par un ami taquin : « Tu nettoies aussi parce qu’on t’a promis un maillot de foot ! ». Conversation qui terminera en course poursuite entre les collégiens, alors que sonnent les 19 heures.
Les ordures sont disposées en tas sur le parking. Plus de cinquante sacs poubelles, trois matelas et une centaine de kilos d’ordures en tout genre ont été collectés par les habitants des Moulins. Demain, une camionnette de la ville viendra les récupérer et opérer un tri sélectif. Mais l’heure est aux remerciements. « C’est un quartier difficile mais plein de bon cœur », s’émeut Mme Cad, qui habite le troisième étage d’une tour de la place depuis 12 ans. Une maman propose des gâteaux, puis une vidéo de groupe se prépare. « Il faut défier une ville après nous, lance Amina. Ça fait partie du défi ! » Après concertation, ça sera Toulon qui devra suivre. « Tant pis s’ils nous battent, on recommencera parce qu’on est les meilleurs », bougonne Inès. La jeune fille s’éloigne, les petits poings serrés… avant la prochaine bataille contre un contenant alimentaire.
Sarah NEDJAR