Au 47 boulevard Jean-Allamane l’entrée du pôle emploi d’Argenteuil se cache derrière un petit grillage verdâtre et une portière grinçante. Ce vendredi 24 septembre, l’intérieur fourmille de monde. Le silence général est très surprenant : pas un bruit dans la salle d’attente. L’intérieur est refait à neuf : des murs gris, des baies vitrées opaques dans le fond de la salle qui donnent sur les bureaux internes, et un dallage très propre. Les gens patientent paisiblement dans trois queues séparées : l’accueil, le coin “recherche d’emploi“ et le bloc informatique avec plusieurs ordinateurs à disposition de tous. Les agents de pôle emploi eux s’empressent, courent dans tous les sens et tentent d’aider le plus de monde possible.
Quelques semaines auparavant, à l’occasion de la visite des jardins de l’Élysée lors des Journées du patrimoine, le Président de la République a prononcé : « Je traverse la rue, et je vous trouve un travail ». Emmanuel Macron s’adressait à un jeune chômeur qui l’avait interpellé sur sa difficulté de trouver un emploi d’horticulteur. De l’autre côté de la rue : des restaurants et cafés. La difficulté de trouver du travail dans son secteur est de taille. Au pôle emploi d’Argenteuil, c’est une réalité.
Les blancs on ne leur propose pas ce genre de boulot
Djadjé est assis sur une chaise. Il agite son pied nerveusement, trifouille des documents dans sa pochette grise et agite le certificat de son diplôme : « J’ai des diplômes mais on me propose tout le temps du travail dans le bâtiment ou en tant que vigile. Je ne suis pas venu ici pour ça. Les blancs on ne leur propose pas ce genre de boulot. Faut arrêter de nous prendre pour de la merde, » vocifère-t-il avec un léger accent chantant en provenance d’Afrique subsaharienne. Djadjé est d’origine mauritanienne. Ce jeune homme de 31 ans porte de grandes lunettes rondes, une veste en velours et une paire de jeans. Il est diplômé d’un brevet de technicien supérieur (BTS) en Négociation et relation client (NRC), d’une Licence de Géographie et parle cinq langues couramment. Il maîtrise l’anglais, l’arabe littéraire et des dialectes africains en plus du français. Pourtant, pas de travail à l’horizon : « Je viens ici tous les jours, vous voulez que je fasse quoi hein ? Je dois faire l’ENA pour trouver un travail et m’acheter une perruque blonde ? » débite-il furieusement.
De l’autre côté de la salle d’attente, la chaleur a ramolli un peu tout le monde et tout particulièrement Fatima. Ses cheveux noirs, touffus et graisseux lui donnent très chaud. Elle se rafraîchit en agitant un vieil exemplaire de Libé dont les pages jaunâtres sentent comme les vieux livres d’occasion. Elle est vêtue d’une djellaba, cette robe traditionnelle d’Afrique du Nord. La robe est d’une couleur rouge argile, recouverte d’arabesques dorées. A 46 ans, elle explique que contrairement à ses copines, elle trouve du travail tout le temps : « Je ne dérange personne maintenant, donc forcément je trouve du travail. Avant, pôle emploi ne me proposait rien. Maintenant, je garde des enfants à domicile je suis tranquille chez moi, à la maison. J’aime garder les enfants et je suis contente comme ça. » raconte Fatima.
En août 2018, le pôle emploi d’Argenteuil a recensé 12.480 demandeurs d’emploi dans la commune sur environ 110 000 habitants. Un chiffre qui a doublé en trois ans. La région est l’une des plus touchées par le chômage en France. En France, on compte plus de 2,5 millions de chômeurs mais les secteurs qui recrutent le plus sont la viticulture et la restauration. Parmi les demandeurs d’emploi d’Argenteuil seul le métier d’agent d’entretien est proposé : pas de viticulteurs et très peu de restauration.
On m’a déjà dit discrètement au téléphone que j’étais trop vieille
A midi et demi, les portes du pôle emploi sont déjà fermées. L’après-midi, c’est uniquement sur rendez-vous. Catherine, 58 ans est en retard. Son caddie violet peine à avancer, il lui manque une roue. Catherine vient de faire ses courses dans le supermarché du coin de la rue. Elle est plantée devant le fameux grillage verdâtre et tente de le pousser : « C’est encore fermé ? Ça m’arrive tout le temps ! Ils ne travaillent jamais ces gens-là de toute façon ! » s’exclame-t-elle. Catherine habite seule et n’a pas d’enfants. Elle a été secrétaire pendant plus de trente ans, notamment chez Rothschild. Elle raconte l’époque où elle gagnait bien sa vie, c’était avant sa démission il y a longtemps. Catherine évoque avec difficulté ses trente ans chez le grand groupe. Maintenant, elle est sans emploi depuis plus cinq ans : « Que voulez-vous que je fasse ? J’aimerais bien aller au travail. Je vis avec à peine 600 euros par mois. Parfois ça m’arrive de manger des pâtes pendant tout le mois. On me propose des petites missions par-ci par-là, mais plus rien depuis un bon moment. Un jour, on m’a dit discrètement au téléphone que ce n’était pas la peine de venir à l’entretien d’embauche car j’étais trop vieille. Madame vous êtes trop vieille on m’a dit. Comment je dois me nourrir si tout le monde m’envoie balader ? » raconte-t-elle en replaçant son caddie correctement sur le trottoir.
Trente secondes plus tard, une jeune femme se hâte vers le portail. Mélanie se rend rapidement compte que ce n’est plus l’heure. Il est midi quarante et les portes sont fermées depuis déjà dix minutes. Étonnamment elle a l’air soulagée. Les cheveux couleur miel de Mélanie tombent sur le côté droit de son visage. Elle déboutonne sa veste en cuir noir synthétique, sort un paquet de cigarette puis un feu de couleur rouge de son sac : « Bon, le taf ça sera pour demain. »
Nato PHOUNTHOUCHACHVILI