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En Seine-Saint-Denis, les services publics à la merci de la fracture numérique - Bondy Blog
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Cette enquête a été publiée pour la première fois sur Médiapart le 1er juin dans le cadre du partenariat entre nos deux médias

Jamila vient d’allumer un ordinateur pour la première fois de sa vie. L’action peut sembler banale, mais pour cette cinquantenaire sans emploi, habitante de Saint-Denis, elle signifie beaucoup. « J’ai toujours été une femme indépendante et depuis quelques années, je me heurte à un réel handicap », confie-t-elle. À sa gauche, Émilie, en arrêt maladie depuis un an, a déjà touché à l’informatique lorsqu’elle travaillait dans un hôpital. Mais depuis, ses souvenirs se sont envolés. « Je suis obligée de demander de l’aide à ma fille, mais elle en a marre », chuchote cette mère de famille.

Ce matin d’avril, Jamila, Émilie et six autres novices ont franchi la porte d’Emmaüs Connect, à Saint-Denis. L’association permet à des personnes en situation de précarité de s’initier au numérique. Inès Gandon, responsable d’activités, signale qu’en 2018, le point d’accueil a accompagné plus de 500 personnes, toutes en grande difficulté face aux outils du numérique. « À la base, il n’y avait qu’un seul atelier le matin, mais face à l’importante demande, on a dû en proposer un autre l’après-midi », raconte Houda El Ouali.

La jeune femme réalise son service civique au sein de l’association et ce matin-là, c’est elle qui initie pour la première fois Jamila et Émilie à l’ordinateur. « Je n’ai aucune connaissance, mais il n’y a pas d’âge pour apprendre ! Vous allez rigoler avec moi ! » prévient Jamila.

Ici, les bénéficiaires doivent être attentifs, ils n’auront pas de seconde chance : « Parfois, certains reviennent une deuxième fois pour un même atelier. Je suis obligée de leur dire que c’est terminé, qu’ils ne peuvent plus venir », annonce Houda avec regret. Les places sont chères chez Emmaüs Connect.

« La plupart des personnes qui viennent sont plutôt âgées, elles ont retardé au maximum ce contact avec l’ordinateur, par peur souvent, mais il est arrivé un moment où elles se sont rendu compte que ce n’était plus possible, raconte Houda. De nombreux étrangers viennent aussi effectuer leur premier cours, car ils n’avaient pas forcément accès à du matériel informatique dans leur pays d’origine. »

La majorité se présente avant tout pour pouvoir rédiger une lettre de motivation, un CV, ou encore effectuer des démarches administratives et fiscales, de plus en plus dématérialisées, qui obligent l’usager à s’adapter à ces changements.

Des travailleurs sociaux débordés

En 2018, le gouvernement a donné la priorité à la transformation numérique des administrations pour atteindre l’objectif fixé par le président de la République de 100 % de services publics dématérialisés à horizon 2022. Une annonce qui inquiète de nombreux travailleurs sociaux en Seine-Saint-Denis, directement confrontés à des usagers touchés de plein fouet par ce développement du numérique, à l’image de Manon* qui travaille dans un centre de santé : « Il y a 25 ans, je ne voyais pas une personne débarquer dans mon service pour que je l’aide à constituer son dossier retraite. Ce n’est pas ma spécialité et il y a des risques que je me plante ! » Elle constate la même chose avec les demandes de primes d’activité ou encore les titres de séjour et craint que le non-recours aux droits n’augmente au sein du département.

Une analyse partagée par de nombreux spécialistes du secteur comme Pierre Mazet, chargé d’études à l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore). En 2017, il expliquait la chose suivante lors d’un débat intitulé « Pauvreté et numérique » consacré aux mutations sociales et technologiques : « Il y a eu une accélération de la dématérialisation en France qui, pour un public dépendant des prestations sociales, est absolument sidérant. L’effet de cette simplification a bénéficié avant tout aux personnes qui savent utiliser Internet. »

Stéphane Troussel, président (PS) du département de Seine-Saint-Denis, rappelle que la numérisation des services publics est « un passage obligé ». Il reconnaît pourtant qu’un vrai risque court pour toute une partie de la population de Seine-Saint-Denis : « C’est un nouveau mode d’expression qui doit être développé, mais il ne doit pas se faire au détriment de certaines populations. »

Selon lui, ce sont davantage les personnes les plus âgées qui sont les premières victimes de ce que l’on peut nommer la fracture numérique, un terme désignant le fossé entre ceux qui savent utiliser ces outils et ceux qui ne sont pas en état de les exploiter, faute d’accès ou de compétences nécessaires à l’usage de ces derniers.

Françoise Chantelou, chargée de la relation à l’usager à la préfecture de Bobigny, remarque qu’un habitant de Seine-Saint-Denis a « globalement » accès à Internet : « Nous devons plutôt développer l’autonomie des gens. »

Ce à quoi Keltoum Brahna, membre de l’Union syndicale Solidaires Sud 93, est farouchement opposée : « Le numérique ne fait qu’accentuer les inégalités sociales, il ne les règle pas. Dans un département déjà sous-doté par rapport aux autres dans des services comme ceux de l’accès aux droits, la numérisation n’endiguera rien. On fait disparaître la file d’attente, mais on ne fait pas disparaître les gens qui ont des besoins. »

Dylan, la vingtaine, a réalisé un stage de quatre mois au conseil départemental où il s’est intéressé de près à cette thématique. Ce conseiller en économie sociale a remarqué à quel point les moyens humains pour parvenir à cette autonomie manquaient cruellement : « Notre métier, ce n’est plus seulement de l’assistance. Durant mon stage, j’avais un planning allégé par rapport à mes collègues donc j’ai créé des boîtes mails aux usagers qui me le demandaient, mais ça ne règle rien. Parfois, je devais discuter directement avec les enfants pour certaines démarches. Mais lorsqu’on parle d’ouverture de droits, ce n’est pas possible de le faire avec un enfant. »

Local repris par la CGT à La Courneuve. © Rémi Simonet

Pallier l’abandon des services publics

Alors, certaines personnes ont décidé de se battre pour conserver un service public en Seine-Saint-Denis et aider les plus démunis. C’est le cas de Nicolas Noguès, secrétaire général adjoint du syndicat CGT Énergie 93. Lui et plusieurs membres du syndicat ont décidé de reprendre les anciens locaux abandonnés par EDF à La Courneuve, où « ils ferment tout peu à peu, mais ici, les gens ne sont clairement pas prêts ».

Chez EDF, il explique que la dématérialisation passe par les nouveaux compteurs Linky : « Avec Linky, maintenant, on fait tout ce qu’on veut à distance. On n’a plus besoin des agents qui se rendaient chez les gens pour faire de la maintenance, plus besoin non plus d’agents d’accueil, et tout ce système profite aux tauliers, en aucun cas ça ne profite aux usagers. »

Des usagers, « âgés »« étrangers », forcés de franchir la porte de ce local pour demander des attestations, par exemple : « En soi, c’est une chose qui n’est pas compliquée à obtenir, mais dans un département comme le 93 où beaucoup ne parlent pas français ou n’ont pas accès à Internet, comment fait-on ? »

« 90 % de nos jeunes ne connaissent pas l’outil informatique »
Depuis la reprise des locaux, le 14 novembre dernier, Nicolas Noguès se sent pleinement dans son rôle de servir un public très souvent « en situation de précarité ». Il observe les initiatives qui se créent dans le département pour tenter de limiter la fracture numérique, mais porte un regard pessimiste sur celles-ci : « On nous dit que pour aider les gens à passer cette transition, on va créer des Point d’information et médiation multiservices (Pimms). Je connais des amis qui ont fait ce poste, ils ont tenu trois jours. Ils se prenaient tous les problèmes de la personne dans la gueule. » En Seine-Saint-Denis, il existe deux Pimms. À Noisy-Le-Grand et à Sevran. Dans cette dernière ville, le Pimms a ouvert en 2013 dans le quartier des Beaudottes. Il a pour objectif de faciliter les relations entre les usagers et les entreprises du service public ainsi que les administrations. En réalité, ce lieu est une conséquence directe de la dématérialisation.
File d’attente au Pimms de Sevran. © Rémi Simonet

File d’attente au Pimms de Sevran. © Rémi Simonet

À l’entrée, les habitants font la queue. Tous doivent indiquer quelles raisons les amènent au Pimms. « Les impôts », répond une dame. « Chèque énergie », fait savoir la suivante. Cinq médiateurs et deux services civiques sont chargés de répondre à des questions très diverses liées à la CAF, Pôle emploi, aux impôts, EDF et bien d’autres. Chaque année, le Pimms de Sevran accueille 14 000 personnes, soit plus de 1 000 personnes par mois.

Pour Baya Bensaid, responsable d’activités au Pimms, si la promesse d’une dématérialisation totale en 2022 devait être tenue, il faudrait augmenter les capacités d’accueil : « 2022 c’est demain ! »

Contrairement à ce que dit Nicolas Noguès, Baya Bensaid n’observe pas de grandes tensions au sein du Pimms : « On a cette casquette de médiateurs sociaux, donc généralement, ils ne s’énervent pas, on n’est pas l’État. » Autre point abordé par la responsable d’activités, la présence importante des jeunes : « Il ne faut pas croire que les jeunes savent se servir d’Internet. Quand ils viennent ici pour la première fois, je leur demande s’ils ont une adresse mail. Ils me répondent très souvent que non. Je leur demande ensuite s’ils ont un compte Facebook, et à ce moment-là, ils me disent oui. »

Sabrina*, agent technique dans un collège de Seine-Saint-Denis, est très inquiète des usages qu’ont les jeunes du numérique. Pour elle, cette maîtrise est uniquement récréative : « Si on demande aux gamins des milieux populaires de Seine-Saint-Denis ce qu’ils font sur Internet, ils vont vous dire qu’ils regardent des tutos, qu’ils sont sur YouTube, Instagram, Snapchat à suivre la vie des stars, je n’appelle pas ça se documenter. Pour certains, ça devient une vie par procuration. Ils se font avoir par toutes les tentations mais en attendant, les inégalités sociales et les discriminations vont s’accentuer. »

Samia Ghozlanedirectrice de la Grande École du numérique, un réseau de formation destiné en priorité aux jeunes des quartiers populaires et aux femmes, est d’accord pour dire que numérique et jeunes ne vont pas de pair : « Les jeunes restent dans leur zone de confort en surfant sur les réseaux sociaux notamment. Quand ils arrivent chez nous, on leur parle de métiers comme data analyst ou FabLab manager, ils se demandent de quoi on parle ! »

Imbattables sur leurs téléphones, maladroits devant l’ordinateur

Une méconnaissance des métiers, des usages limités au simple divertissement mais aussi une maîtrise de l’ordinateur plus qu’approximative font démentir des discours selon lesquelles cette fracture numérique serait uniquement générationnelle. Olivier Birna, responsable des relations avec les entreprises à la Mission locale de Bondy, travaille tous les jours au contact de ces jeunes et son constat est sans appel : « On a 90 % de nos jeunes qui ne connaissent pas l’outil informatique. »

Samba est inscrit à la Mission locale et s’y rend régulièrement pour refaire son CV : « Je sais qu’Olivier connaît les petits trucs qui font la différence. » Le jeune homme reconnaît ses failles : « Sur mon portable, je suis imbattable, mais tu me mets sur un ordinateur, je suis encore à l’époque de MSN », ironise Samba, à peine 20 ans. Face à un ordinateur, il n’est pas aussi patient : « T’essayes une fois, tu vois “erreur” ; tu retentes une deuxième fois, tu vois encore “erreur”, et tu lâches. »

Houbed, un autre jeune habitant de Bondy, a effectué une grande partie de sa scolarité en Algérie. « Là-bas, la seule personne qui pouvait toucher l’ordinateur, c’était la fille du proviseur. Si moi je le touchais, j’étais mort. » Lorsqu’il est arrivé à Bondy, Houbed ne savait pas allumer un ordinateur. Aujourd’hui, le jeune homme avoue qu’il sait se servir d’un seul logiciel sur l’ordinateur, le reste, il le fait avec son téléphone.

« Ils ne savent pas faire une recherche sur Internet, ils ne savent pas isoler des mots-clés, des choses assez basiques finalement », remarque Carole, professeure documentaliste dans un collège d’Aubervilliers. Elle a travaillé dans la banlieue lyonnaise ainsi que dans le département du Gard. En comparaison, elle trouve que ce blocage n’était pas si important là-bas qu’ici, dans son collège d’Aubervilliers. Les moyens étaient aussi plus importants : « Au collège, nous n’avons aucune salle avec un ordinateur par élève », s’indigne la professeure documentaliste.

Le collège a également reçu 250 tablettes pour un collège qui accueille plus de 800 élèves : « Pendant un an, nous n’avons même pas eu de connexion internet pour utiliser ces tablettes », ajoute-t-elle. Une nouvelle épine dans le pied pour un département qui prône pourtant « l’inclusion numérique ».

Rémi SIMONET

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