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Justice rendue pour Ali Ziri : le combat continue pour les familles des autres victimes de violences policières - Bondy Blog
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Il aura fallu attendre près de 10 ans pour que justice soit rendue pour la famille d’Ali Ziri, retraité de 69 ans, mort entre les mains de la police en juin 2009 à Argenteuil. Une justice qui a dû s’exporter hors des frontières françaises après épuisement de tous les recours par la famille. L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a été rendu publique ce jeudi 21 juin : il condamne l’Etat français pour « négligence » sur la base de la violation de l’article 2 de la Convention Européenne des Droits Humains, relatif au droit à la vie. La France va devoir verser « 30.000 euros pour dommage moral et 7 500 euros pour frais et dépens » à Annissa Semache, la fille d’Ali Ziri. C’est elle qui avait saisi la CEDH en juin 2016, après que la procédure française, qui a duré six ans et huit mois, a débouché sur un non-lieu en février 2016.  La fille d’Ali Ziri a appris la nouvelle d’Algérie où elle s’était rendue pour être entourée de sa famille. 

C’est la preuve que notre combat était juste et qu’on devait le mener. Parce que cette mort était un scandale

Elise Languin, membre du collectif « Vérité et Justice pour Ali Ziri » et militante au sein d’Amnesty International, se dit soulagée de cette victoire réparatrice pour la famille, mais aussi pour l’opinion publique : « C’est un sentiment de victoire, un soulagement. C’est la preuve que notre combat était juste et qu’on devait le mener. Parce que cette mort est un scandale » ,confie-t-elle. Plus que légitimer le combat des proches et du collectif, cet arrêt de la CEDH vient reconnaître des vies « négligées » en France : « Monsieur Ziri était un chibani de la ville d’Argenteuil, qui en compte beaucoup. Il a travaillé pendant 40 ans dans ce pays. Il fait partie de ces gens qui ont reconstruit la France après la guerre de 1939-1945. Il faisait partie de cette main d’œuvre importée ou déportée de Kabylie pour travailler ici, où il est arrivé en 1959, quand il n’y avait pas encore de regroupement familial, ajoute-t-elle. Donc pour les 1ère, 2ème et 3ème génération, cette condamnation a des répercussions : elle acte qu’il y a des vies qui sont négligées par l’Etat français. Comme il y a des vies qui ne comptent pas aux Etats-Unis ». Dans les morts de Mohamed Boukrourou, d’Abdelkader Ghedir et de Naguib Toubache, toutes en lien avec les forces de l’ordre, la culpabilité de la France a été reconnue par la CEDH. Il s’agit de quatrième condamnation de la France par la Cour européennne en six mois.

Omar Slaouti, l’un des porte-parole du collectif, tient à souligner deux aspects de cette condamnation : « Ali Ziri est bien mort suite aux actions ou inactions de la police. C’est un désaveu absolu de la justice française qui avait, après six ans de procédure, rendu un non-lieu. C’est aussi la condamnation de la France pour la mort d’un Algérien de 69 ans. Cela rappelle des heures sombres de l’histoire… », souffle Omar Slaouti.

Omar Slaouti, porte-parole du collectif, lors de la marche en hommage à Lamine samedi 16 juin 2018 à Ménilmontant

Procédure judiciaire depuis 2009

Dans son arrêt, la CEDH souligne la longue durée de la procédure judiciaire dans cette affaire : une première procédure pour recherche des causes de la mort avait été ouverte dès le 11 juin 2009, jour d’enregistrement du décès d’Ali Ziri. Ce retraité avait été arrêté avec son ami A.K, deux jours plus tôt, par trois agents de police alors qu’ils se trouvaient à bord d’un véhicule et en état d’ébriété. Les policiers ont fait état d’un refus d’obtempérer des deux hommes pour justifier l’interpellation qui s’en suit. Cette interpellation est décrite comme agitée et les policiers vont avoir recours à la force. Dans le fourgon qui transportait les deux hommes au commissariat d’Argenteuil (Val d’Oise), une policière utilise la technique du pliage sur Monsieur Ziri, pourtant déjà menotté. Une technique policière qui consiste à faire plier de force une personne par pression des deux mains dans son dos.

Lors de l’arrivée au commissariat, « M. Ziri fut alors expulsé du véhicule et heurta le sol. Il fut ensuite saisi par les quatre membres par des policiers et transporté, sans réaction apparente et la tête pendante, à l’intérieur du commissariat », note la CEDH dans son arrêt. Monsieur Ziri et son ami sont alors placés en position allongée, sur le ventre, toujours menottés. Ils resteront ainsi, vomissant, sans qu’aucun policier ne bouge, pendant 30 minutes. « Tandis que les policiers expliquent que les deux hommes auraient continué à les insulter, « un jeune homme, en garde à vue ce même soir, affirme avoir vu un policier appuyé sa chaussure sur la tête de l’un d’entre eux, prétendant l’utiliser comme une serpillère », rapportait ce reporter du Bondy Blog dans un article de décembre 2014.

A 21h15, le chef de poste demande à ce que les deux hommes soient emmenés à l’hôpital. Le fourgon devant les transporter ne démarrera que 45 minutes plus tard. L’hôpital est situé à deux kilomètres du commissariat. La première autopsie explique le décès de Monsieur Ziri par l’accumulation de son âge avancé, d’une malformation cardiaque qu’il ignorait et d’un taux d’alcoolisme élevé. L’enquête s’ouvre le 22 juin aussi vite qu’elle se referme le 7 juillet 2009, l’affaire étant classée sans suite. La famille se constitue alors partie civile et porte plainte le 22 juillet 2009. La contre-autopsie qui sera réalisée révèle la présence d’une vingtaine d’hématomes, certains larges de 17 centimètres, sur le visage et le corps du sexagénaire confirmant la mort par asphyxie.

« C’est paradoxal : la France est condamnée mais les policiers sont toujours en poste »

Cette condamnation pour « négligence » de l’Etat français s’est décidée à l’unanimité par les sept juges de la CEDH. Mais le sentiment de justice est loin d’être total. Ramata Dieng, la soeur de Lamine Dieng, mort étouffé par des policiers il y a 11 ans, le 17 juin 2007, s’est elle aussi tournée vers la CEDH en décembre dernier après que les voies de recours en France ont abouti à un non lieu, confirmé par la Cour de Cassation en juin 2017. « Cela fait onze ans qu’on attend. C’est une torture en continu en fait. C’est comme si c’était hier. Même si ça fait 11 ans. C’est une attente insupportable, éprouvante, douloureuse. Mais on garde espoir ». Si elle salue le combat de la famille d’Ali Ziri, elle déplore que seul l’aspect pécuniaire soit concluant dans cette affaire : « Quand j’ai appris pour Ali Ziri, c’était  un soulagement d’abord. Quand j’ai vu la condamnation en tant que telle, et le montant des dédommagements, j’ai trouvé cela triste. Triste et révoltant. Une vie humaine pour quelques 30 000 euros. C’est vraiment pas cher payé pour une vie… Ca m’a vraiment attristée, révoltée. Je me suis dit voilà ce à quoi il faut s’attendre pour Lamine si notre dossier est accepté ».

Le 16 juin 2018, Ramata Dieng menait la marche commémorative à Paris en hommage à son frère, Lamine Dieng, décédé le 17 juin 2007 entre les mains de la police

Omar Slaouti, lui, ne voit dans cette condamnation de l’Etat français qu’une victoire partielle : « Nous exigeons le licenciement de ces trois agents de police pour faute grave : ils ont déjà été sanctionnés… par des blâmes… C’est paradoxal. La France est condamnée et les policiers en question n’ont eu que des blâmes et sont toujours en poste !  » Elise Languin y voit là une des limites de la CEDH : « Elle n’a aucun pouvoir de justice rétroactive. Elle condamne en droit mais ne refait pas d’enquête, ne re-juge pas. Et la justice française a dit qu’ils n’étaient pour rien dans la mort de Monsieur Ziri. Les textes de non-lieux restent extrêmement violents pour les familles ».

Le fait qu’il faille passer par une instance européenne pour obtenir justice est aussi un problème que pointe du doigt les familles et collectifs de victimes de violences policières. Pour Elise Languin, c’est l’illustration d’une justice française à deux vitesses « avec une sous-justice pour les misérables, entre les comparutions immédiates, pour lesquelles on délivre des peines très lourdes dans un temps indigne, et le fait que la police mais aussi la grande délinquance financière et les puissants, eux, sont épargnés ».

Justice et enquêtes partiales

Amal Bentounsi, qui a perdu son frère Amine, tué par un policier en 2012 a obtenu la condamnation en appel de ce policier l’année dernière. La culpabilité de l’Etat français dans la mort d’Ali Ziri fait écho à son combat et résonne aussi dans son coeur.Depuis la mort de son frère, elle n’a de cesse de critiquer un système policier et judiciaire qui « fabrique des monstres ». C’est une petite victoire qui démontre bien le problème qu’il peut y avoir depuis quelques années maintenant. La CEDH est une voie pour rendre justice quand la justice française est absente. Cela confirme exactement ce qu’on dit depuis des années maintenant : l’Etat va verser une somme d’argent, ce n’est pas une réelle justice mais c’est quand même important pour les familles qui sont allées jusqu’au bout des voies de recours. Se dire que les familles n’ont rien lâché, c’est ce qui est important. Peut être qu’à force de mettre la main à la poche, les institutions françaises se bougeront, condamneront. A la hauteur des faits commis ». Elle aussi pointe du doigt la partialité de la justice française dans les affaires de violences policières : « Toutes les affaires se déroulent de façon similaire dans la recherche de justice : les policiers se cachent derrière tout ça, ils savent pertinemment qu’ils vont bénéficier d’un privilège. Qu’ils peuvent aller jusqu’au bout avec une certaine catégorie de personnes ». 

Dans la requête portée par la famille d’Ali Ziri devant la CEDH, les questions de l’enquête bâclée et de l’indépendance de la justice ont été posées notamment parce que les auditions des témoins ont été réalisées par l’IGPN, organe interne de la police. La Cour de Strasbourg reconnaît et rappelle dans son arrêt que l’Etat reste juge et partie dans les affaires de violences policières : « L’effectivité requiert en premier lieu que les personnes responsables de la conduite de l’enquête soient indépendantes de celles éventuellement impliquées dans le décès : elles doivent, d’une part, ne pas leur être subordonnées d’un point de vue hiérarchique ou institutionnel ; elles doivent, d’autre part, être indépendantes en pratique ». Pourtant, la CEDH balaiera ce point mis en avant par la famille. Si elle note des “lacunes ponctuelles” dans l’enquête, ces dernières ne “permettent pas de remettre en cause l’effectivité de l’enquête dans son ensemble” selon elle.

Que le Sénat, les élus, tous ceux qui votent et font appliquer les lois s’emparent de ces condamnations

La dénonciation des violences policières passe également par une réclamation d’un organe d’enquête indépendant en France. Assa Traoré, dont les deux ans de la mort de son frère entre les mains des gendarmes de Beaumont-sur-Oise seront commémorés le 21 juillet prochain, est également touchée par cette condamnation, avec ambivalence : « Ce qui est triste et malheureux, c’est qu’on ne soit pas garantis d’avoir justice en France. Et avant d’aller à la CEDH, il y a de fortes probabilités que les familles soient épuisées moralement ou n’aient pas les ressources financières ». Et de poursuivre. « Donc il y a un réel problème avec la justice en France” poursuit Assa Traoré. « Il faut remettre en cause tout ce système policier et judiciaire, qui doit être garant de nos droits dans tous les cas. Bien sûr que cette condamnation nous donne de la force mais c’est à la France d’être d’abord garante de nos droits. La vie de mon frère ne vaut pas moins que celle d’un autre », martèle-t-elle.

Le 16 juin 2018, Ramata Dieng accompagnée de nombreuses familles et proches de victimes de violences policières rendaient hommage à son frère, Lamine Dieng, décédé le 17 juin 2007 entre les mains de la police

Ramata Dieng regrette qu’aucune réaction politique ne soit mise en place. « La bonne réaction serait de mettre une instance en place pour juger de façon impartiale mais aussi, de réagir publiquement face à toutes ces condamnations. Et qu’il y ait ensuite, une action politique. Que le Sénat, les élus, tous ceux qui votent et font appliquer les lois s’emparent de ces condamnations de la France ».

Si la force avait été proportionnée, Ali Ziri aurait-il trouvé la mort?

Une autre amertume perdure à la lecture de l’arrêt de la CEDH : si la Cour relève un possible lien de cause à effet entre la technique du pliage et le décès d’Ali Ziri, elle ne l’incombe pas totalement à cette technique d’immobilisation. Fin mai dernier, avec plusieurs collectifs dont Vies Volées, Ramata Dieng a mis en ligne une pétition qui demande l’abrogation des techniques d’immobilisation policières telles que le plaquage ventral, la clé d’étranglement et le pliage. « Ce sont ces techniques qui sont responsables de la mort de mon frère, d’Ali Ziri, d’Adama Traoré…. » La liste est longue. « Ces techniques sont interdites dans d’autres pays. Pourquoi pas en France? », questionne la soeur de Lamine Dieng. Elise Languin, de son côté, rappelle que la technique du pliage est interdite d’utilisation pour la Police aux Frontières. “Une personne sans-papier était décédée après avoir été maintenue ainsi dans un avion. Ca montre bien à quelle point ces techniques, toujours enseignées et pratiquées, sont dangereuses!”

Pour la CEDH, qui s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes daté de 2014 pour motiver sa conclusion, le recours à la force (et donc au pliage) par les trois agents de police reste « justifié et strictement proportionné au but poursuivi ».  La sécurité des policiers aurait été mise en danger par le fait que Monsieur Ziri ait tenté, toujours menotté et assis à l’arrière de la voiture, de « donner un coup de tête » à l’un des agents.

Ramata Dieng déplore l’absence de critique de cette technique par la Cour. « C’est une honte : il y a trois policiers, armés, pour deux hommes âgés, menottés. Si la force avait été proportionnée, Ali Ziri aurait-il trouvé la mort ? C’est ça qu’on doit en déduire ? Que la proportion conduit à la mort ? », questionne-t-elle rhétoriquement.

Le combat continue pour les familles et les collectifs

Pour les collectifs et les proches des victimes qui dénoncent ces violences, cette condamnation vient valoriser et légitimer leurs luttes. Amal Bentounsi entend ne rien lâcher. « L’objectif c’est de continuer et de ne pas baisser les bras. Quand ce n’est pas la CEDH, c’est la société civile, et surtout les familles et les proches directement touchés, qui font ce travail de réclamation de justice et de contre-pouvoir ». Ainsi, après avoir organisé une première journée de défense auto-citoyenne en 2017, une deuxième session aura lieu ce 30 juin.

Ramata espère que la médiatisation de cette condamnation conscientisera une partie de la population qui continue d’ignorer cette violence systémique. « Je crois vraiment que cela se passera dans la rue. J’espère que cette condamnation va encourager les gens à nous rejoindre dans cette lutte. Et encourager les victimes de violences policières à engager des procédures systématiquement ». Elise Languin conclue : « Le combat continue contre le racisme pour le respect des droits et de la dignité de tous ».

Amanda JACQUEL

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