Lorsque tu as la gorge serrée, les mots ne passent pas. Alors, c’est par les yeux qu’ils sortent en larmes. C’est comme ça la tristesse, forte et intense, impossible de l’anticiper. Inutile de la camoufler ou de l’expliquer. C’est le corps qui parle, il prend les commandes, ni le cerveau ni le cœur ne lui résistent. La tristesse, c’est dans les regards que tu la débusques. Parce que les mots se réfugient dans ta vision du monde. Ils trouvent asile dans ton regard.
Celui avec lequel tu décryptes ton univers proche ou la galaxie toute entière. Et pour te sortir de cet enclos, tu cherches les mots pour, malgré tout, comprendre tes sentiments. Comment résister à la tentation de révolte, à la sensation d’oppression, aux lames de l’indifférence, à la souffrance inouïe des proches, à la sécheresse des commentaires, aux forces du ressentiment. Il y a un mot en arabe pour expliquer cet état : la HOGRA. C’est un sentiment diffus entre l’injustice et l’oppression.
Un mot prononcé, notamment par les jeunes, dans les pays arabes. Un SOS universel, un constat, un cri, un refuge. C’est ce mot qui m’est venu à l’esprit lorsque j’ai appris la relaxe dans le procès de Zyed et Bouna. C’est terrible cette déshumanisation des habitants des quartiers, ce chaos imperceptible par nos politiques, cette injustice acceptée, ce séparatisme mortifère et ces commentaires abjects de la part de quelques élus souffleurs sur les braises pour faire bouillir leur marmite de haine. La hogra, c’est aussi un sentiment de trahison qui prend sa source dans les mensonges et les renoncements des politiques. À leur surdité face aux cris stridents de la douleur et de la demande de justice. Ce 18 mai, la république a fait l’école buissonnière et j’ai un goût amer dans la bouche.
Nordine Nabili
La hogra, 10 ans après…
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