Deux ans après le succès retentissant de son film autobiographique « Patients » dans lequel était décrit le quotidien de jeunes hospitalisés dans des centres de rééducation, Grand Corps Malade met en scène cette fois-ci, avec son acolyte Mehdi Idir, ses souvenirs de collégien à Saint-Denis. Ça s’appelle La Vie scolaire et c’est à l’affiche depuis deux semaines. Dans cette nouvelle comédie, nous suivons Samia (Zita Hanrot), une conseillère principale d’éducation fraîchement débarquée de son Ardèche natale pour des raisons personnelles et déterminée à donner un sens à l’avenir de jeunes confrontés à de grandes difficultés scolaires et sociales. L’occasion également pour chacun de se remémorer nos années collège.
Le slameur et son ami d’enfance ont décidé pour leur dernier film de situer l’action dans le collège d’enfance de ce dernier à Saint-Denis. Situé en plein milieu des tours du Franc-Moisin, le spectateur est immédiatement plongé dans le quotidien d’un établissement du réseau d’éducation prioritaire (REP). Sans tomber dans de la description larmoyante, nous comprenons ici que les jeunes sont pour certains livrés à eux-mêmes, ce qui est le cas de Yanis (Liam Pierron), l’un des personnages principaux du film dont le père est incarcéré depuis deux ans et dont la mère est contrainte d’enchaîner les petits boulots tout en veillant à l’éducation de ses enfants. Yanis fait partie de ces fameux élèves qui ont « toutes les capacités pour réussir » mais dont le comportement en classe est trop souvent à la limite de l’insolence.
La particularité de ce film réside dans le fait que l’intrigue se déroule dans la perspective du CPE et non pas du professeur ou des élèves comme cela pouvait être le cas dans Entre les murs (Palme d’Or à Cannes en 2008) ou dans un autre registre Les Sous-doués et Les Profs. Ce qui permet ainsi de comprendre son importance au sein d’un établissement : à la fois conseillère d’orientation, assistante sociale ou encore psychologue, Samia est un véritable couteau suisse dans ce collège où les perspectives d’évolution sont restreintes pour les élèves. Sans l’expliciter, la question qui se pose tout le long du film et qui sera posée par Yanis lors d’une scène intense : « Quelles sont les chances de réussite pour un élève de REP ? ».
Ce qui interpelle est également la justesse des jeunes acteurs qui pour beaucoup ne sont pas comédiens de formation à l’image de Liam Pierron qui pour l’anecdote s’était rendu au casting pour accompagner un ami et qui s’est retrouvé dans la distribution de ce film. On peut également citer Gaspard Gevin Hié jouant le rôle de Kévin surnommé Dewey par ses camarades de classe (sans doute en hommage au personnage de la série « Malcolm ») ou encore Hocine Makando dans le rôle de Farid qui déclenche l’hilarité du spectateur par ses mensonges hallucinants.
Fils d’enseignant, j’ai été marqué par ce film
Les jeunes cassent à merveille le cliché latent qui colle à la peau des élèves de REP : oui, ils ont énormément de capacités et ont de la bonne volonté, oui ils sont beaucoup plus cultivés qu’il n’y paraît en témoigne Issa (Moryfère Camara) qui rappelle à sa CPE qu’il est possible de connaître le classique « Samourai » de Shurik’n et de bouger la tête sur du PNL ou Jul. Ajouté à cela une équipe enseignante composée de Messaoud prof de mathématiques (Soufiane Guerrab) qui se distingue également par sa volonté de tirer ses élèves vers le haut tout en ne se privant pas de les remettre à leur place quand cela s’impose, ou encore de Redouane le professeur d’EPS souffrant légèrement du syndrome de Gilles de la Tourette et qui a pour passion de mélanger les disciplines telles que le foot et le roller rien que ça. Au final, ce mélange nous donne des scènes d’anthologie mais également des moments forts en émotion qui questionnent le spectateur.
Le fils d’enseignant que je suis a particulièrement été marqué par le film. Bien que je n’étais pas en zone d’éducation prioritaire à l’époque mais toutefois scolarisé dans le 93, il a ravivé quelques souvenirs perdus de mes quatre années passées au collège : les vannes et les petites provocations entre élèves et surveillants (ici interprétés entre autre par Alban Ivanov et Moussa Mansaly), les éternels débats pour déterminer le meilleur entre Ronaldo et Messi, les excuses les plus loufoques pour justifier retards et absences ou encore les blagues et défis qu’on pouvait se faire en plein cours. Il démontre également que certaines problématiques n’ont pas changé au fil du temps : les salles de classes surchargées, le manque de moyens pour le personnel enseignant. Cette comédie n’a pas vocation à faire passer un quelconque message politique mais bien à faire un état des lieux d’un établissement REP en Seine-Saint-Denis et mettre en lumière sa dure réalité. Accompagné d’une savoureuse bande-originale qui plaira aux amateurs de rap old school, Grand Corps Malade et Mehdi Idir réussissent avec ce film à nous faire presque regretter d’avoir quitté le collège.
Félix MUBENGA