Récapitulons : une fête vraiment populaire et communiste à La Courneuve. 35 euros les 3 jours ! Très peu de festivals avec une telle programmation existent à ce tarif. 3 ou 4 euros la pinte : aucun festival ne fait ça. Lors de cette édition 2019 de la fête de l’Huma, on pouvait croiser des familles, avec des enfants et nourrissons, des groupes de jeunes franciliens, des grands-mères et des grands-pères, des militants communistes venus de toute la France en bus, avec quasiment un barnum par section locale, par département ou par ville.
Des artistes populaires, une rappeuse et un rappeur, immigrés ou enfants d’immigrés comme Aya Nakamura et Soprano, étaient parmi les têtes d’affiches de la Grande scène qui peut accueillir jusqu’à 100 000 personnes. Des communistes du monde entier étaient présents. Difficile d’y voir un événement « de Blancs » ou « de Français » : on pouvait y croiser des communistes kurdes, irakiens, marocains, chinois, turcs…. Dans les allées, les militants ne parlent que des gilets jaunes entre eux. Samedi, tout le monde était sur son téléphone pour regarder les images des manifestations des gilets jaunes qui avaient lieu.
Le dimanche, des figures du mouvement comme Priscillia Ludosky et Jérôme Rodrigues ont été invités à l’Agora de l’Humanité pour un débat. Le Comité Adama était à côté de l’Agora pour tenir son stand, parler de son combat et de celui des frères Traoré encore incarcérés. Des militants antifascistes ont aussi profité de l’événement pour tenir une table sur l’antifascisme et pour demander la libération d’Antonin Bernanos. Les Jeunes Révolutionnaires, à côté des Kurdes, tentent de relancer le maoïsme en France. Il est bien certain que les militants qui luttent aujourd’hui continuent d’investir cette fête et na la méprisent pas. La fête de l’Huma reste militante car elle est investie par les militants, par « la base ». On peut parler longtemps des cadres de la FI, du PCF, des Verts. On peut parler de Benalla qui s’invite à la fête de l’Huma, et qui en provocateur invite deux députés insoumis à venir le rejoindre au stand de MMA. Mais il y a plus important à la fête de l’Huma.
La fête de l’Huma, c’est comme le rap, c’était mieux avant
En se baladant entre les stands, lorsque l’on parle aux gens et qu’on reste attentif aux détails, si on est de gauche et qu’on se sent un peu chez soi à la fête de l’Huma, c’est un sentiment brouillé qu’on ressent. Un sentiment émouvant et partagé de grande fierté d’abord, de fierté de faire corps, de fierté de la classe ouvrière, de ses victoires et de sa puissance passées. Et même si le PCF ne compte plus beaucoup de militants, que l’Humanité se lit moins qu’avant, cette fierté-là semble rester. Elle est même indissociable du cliché du folklore militant qui fait rire, les t-shirts du Che, les drapeaux cubains, l’Internationale chantée à tue-tête par des communistes avinés.
Mais derrière ce folklore, qui est en fait simplement le reste d’une culture politique autonome propre à la classe ouvrière, se cache aussi une autre tradition, plus subtile : celle de la mélancolie. La mélancolie que tout le monde a intégrée, celle qui nous fait penser que la fête de l’Huma, c’est comme le rap, c’était mieux avant.
« La tristesse et le deuil, le sentiment écrasant de l’échec, des amis et des camarades perdus, des occasions ratées, des acquis détruits, du bonheur volé ont accompagné l’histoire du socialisme depuis ses débuts », nous dit Enzo Traverso dans Mélancolie de gauche.
Dans les allées, sous chaque tente ou presque, des photos de militants incarcérés. Des messages de solidarité pour les prisonniers, les exilés, les déportés, les assassinés. Partout. Des militants inconnus du grand public, comme certains militants rifains emprisonnés, jusqu’au président Lula incarcéré et représenté sur la Grande scène par Dilma Roussef, qui lui a succédé à la tête du Brésil de 2011 à 2016, partout sont affichées des photos et des images de « camarades » absents.
On n’est pas d’accord sur tout, c’est vrai, mais…
Cette mélancolie, on ne la trouve nulle part ailleurs. Pas dans d’autres festivals « engagés » comme les Solidays, beaucoup plus branché. Car à la fête de l’Huma, on réussit certes moins à faire de la propagande et à politiser « le peuple » qu’avant. Mais on fait surtout la fête avec toutes les défaites et tous les absents, morts ou en prison. Et la liste est longue. Mumia Abu-Jamal, Lula, Vincenzo, Théo. Les frères d’Adama Traoré encore incarcérés, Adama assassiné. La liste ne finit jamais.
Alors qu’est-ce qui fait d’un événement comme celui de l’Huma un événement politique ?
Important moment de l’organisation politique, faire de l’argent. « C’est pour faire de l’argent qu’on est là. Tout le monde est là pour ça. On veut financer notre camp d’été, alors on vend des melons», disent entre eux les Jeunes Révolutionnaires. La fête de l’Huma n’est pas exactement le temps du conflit. Les insoumis, les syndicalistes, les communistes, les marxistes-léninistes, les maoïstes, les trotskistes, les libertaires, les gilets jaunes, les gens vaguement de gauche mais qui ne militent pas activement, ou les simples fêtards se croisent dans une ambiance sereine. Lors de la prise de parole de Philippe Poutou et d’Olivier Besançenot au stand du NPA le samedi, dans la foule bruyante, un syndicaliste parle dans sa barbe, mais un peu fort et trop sèchement, des « trotskistes du NPA ». Il se fait recadrer de suite par son voisin : « On n’est pas d’accord sur tout, c’est vrai, mais ils font du bon travail. »
Pas de résignation, ni d’abandon
Comme le dit Jérôme Rodrigues, acclamé pendant le débat (très suivi) intitulé « Gilets jaunes un an après. Vers de nouvelles formes de mouvements sociaux ? » : « On a besoin de vous tous aujourd’hui, quel que soit le maillot que vous portez. […] J’appelle à la convergence des idées, celle du mieux-vivre, de la justice sociale, de la fiscale. C’est ça ma convergence, ce n’est pas une couleur, une étiquette, une corporation ou une communauté, c’est vous tous. » Pas de puissance offensive exactement contre l’ennemi lors de cette fête. Plutôt une fête pour se retrouver, pour faire une pause et pour discuter, pour préparer d’autres choses, pour se rappeler qu’on a été forts et qu’on est pas seuls. Qu’on a failli gagner et qu’on va réessayer.
Depuis beaucoup d’années en France comme ailleurs, ce ne sont pas les idées progressistes ni le camp de la gauche qui gagnent dans le rapport de force. Le PCF et les autres partis de gauche sont faibles, les cadres de la gauche se divisent, les syndicats mobilisent moins, et les mouvements sociaux, qui ne cherchent souvent qu’à défendre des acquis d’anciennes luttes, sont réprimés durement. La fête de l’Humanité est alignée sur ce rapport de force : en défense. Pas de résignation, pas d’abandon du combat. Juste dans les cordes, à convoquer le passé pour nourrir l’espoir. « Les mauvais jours finiront ».
Wassily CARPENTIER