C’est une première. Sur l’esplanade de la préfecture de Bobigny, cinq maires de Seine-Saint-Denis entament une action en justice contre… l’Etat. Ils étaient réunis ce samedi : Azzédine Taibi (Stains), Sylvine Thomassin (Bondy), Meriem Derkaoui (Aubervilliers), Mohamed Gnabaly (L’Île-Saint-Denis) et Laurent Russier (Saint-Denis). L’objectif de ces édiles, réclamer une indemnisation de l’Etat à la hauteur de ce que la taille et la croissance de leurs communes exigent, afin de ne pas être les « oubliés de la République », nous explique Azzédine Taibi. Il est une des figures de cette démarche judiciaire, lancée et annoncée il y a près d’un an. L’édile communiste nous explique les différentes difficultés rencontrées : pas assez de policiers ni d’enseignants, une justice trop lente, des services publics lacunaires et une dotation de l’Etat trop basse.
Devant la préfecture de la @seinesaintdenis pour porter plainte contre l'État. Respect et justice pour le #93 et tou.te.s ses habitant.e.s ! pic.twitter.com/ByAfObhrDj
— Meriem Derkaoui (@Meriem_Derkaoui) September 7, 2019
Le combat avait commencé il y a déjà près d’un an. Un rapport illustrait déjà les failles et les difficultés rencontrées par les maires de Seine Saint Denis. En novembre dernier, le BB était parti à la rencontre d’Azzédine Taibi pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Il nous avait expliqué son intention de créer des groupes de travail « pour démontrer en quoi les inégalités vécues ont un impact concret ». Pour cela, les élus s’appuient massivement sur le rapport parlementaire signé par les députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM) en mai 2018 et consacré à l’évaluation de l’action de l’Etat en Seine-Saint-Denis.
Selon l’avocat Arié Halimi qui représente les maires dans cette action en justice, « cela permet une totale objectivité. C’est notre pièce maîtresse ». Désormais, tous ces maires décident de passer la vitesse supérieure et promettent : s’ils n’obtiennent pas satisfaction dans les deux mois, ils se réservent le droit de faire un recours administratif. Arié Halimi explique : « Le juge administratif pourra faire condamner l’Etat à améliorer ses outils ou bien à compenser financièrement »
D’autres maires devraient rejoindre le mouvement
Le maire de Stains assure que certains élus qui ne font pas encore officiellement partie de ce recours collectif apportent un soutien clair en privé. C’est le cas du maire de la Courneuve, Gilles Poux (PCF), qui « réfléchit sérieusement à l’idée de nous rejoindre », glisse Taibi. Rappelons que ce dernier avait déjà entamé sa propre démarche contre les discriminations, convoquant dans sa ville fin juin de grandes assises pour l’égalité des territoires.
« Ce recours va permettre aussi de dire, une bonne fois pour toutes que, malheureusement, ici en Seine-Saint-Denis, la rupture d’égalité est réelle, assure le maire de Stains. Pourtant, nous sommes dans un département qui foisonne d’associations et de collectifs, où la jeunesse fait des choses extraordinaires, où ils s’organisent tous comme des parents ». Lui comme ses quatre collègues ont signé et présenté sous l’œil des photographes des courriers aux ministres de la Justice, de l’Economie, de la Cohésion des territoires ou de l’Education, ainsi qu’au premier d’entre eux, Edouard Philippe. « Nous faisons les choses à bout de bras, soupire Taibi. On est constamment interpellés par des difficultés sociales, du matin jusqu’au soir. On le fait parce qu’on aime notre territoire, la dignité, l’égalité et la fraternité mais à un moment donné lorsque l’on voit que l’Etat nous abandonne, on ne peut plus le supporter. »
Egalement présente, la maire (PCF) d’Aubervilliers Meriem Derkaoui regrette elle aussi que tant de voyants soient au rouge : « Non seulement ça ne s’arrange pas mais ça s’aggrave. On a une crise du logement. On a des enfants qui ne sont pas comptés dans la dotation de l’Etat. La politique de la ville et la solidarité urbaine ne peuvent pas tout arranger. On ne veut pas de système dérogatoire. » Et l’édile communiste de citer volontiers un de ses illustres prédécesseurs, Jack Ralite, auteur de cette fameuse phrase selon laquelle « la banlieue ne se plaint pas, elle porte plainte. »
Si ce mouvement est officiellement incarné par cinq maires du département, un appel est lancé par Maître Arié Halimi : « Nous espérons que tous les maires de Seine-Saint-Denis nous rejoignent, quelques soient leurs affinités politiques parce qu’il s’agit des habitants qui sont moins bien traités que le reste de la République. » Rendez-vous avant la fin de l’année pour le nouvel épisode d’une bataille judiciaire que les maires promettent de mener jusqu’au bout.
Audrey PRONESTI
Crédit photo : Twitter / Meriem DERKAOUI